Commissaire Rivers ( over )

Rivers n'est pas quelqu'un que l'on pourrait qualifier d'à la mode, ni même de très élégant. Il porte en permanence un costume brun clair, élimé par endroits, datant au moins des années 1980. Sous celui-ci il porte une chemise bleue ciel au col impeccable, auquel est nouée consciencieusement une cravate aux variations chocolat. Son pantalon est maintenu serré autour de sa taille par une ceinture à la boucle ternie par les années, il en est de même pour ses chaussures, qui autrefois étaient noires et luisantes. Aujourd'hui abîmées et poussiéreuses, elles n'en restent pas moins correctes. Le visage marqué par la fatigue inspire souvent la crainte, et ses traits durcis par les drames n'arrangent pas son image. Ses yeux gris donnent l'impression de vous scanner pour peu qu'ils vous fixent. Enfin il fait toujours en sorte que ses cheveux blanchâtres soient toujours soigneusement coiffés. Il lui arrive parfois, lorsque le vent se fait trop froid, de revêtir par dessus son costume un imper délavé qui lui descend jusqu'aux genoux, qu'il ne prend jamais la peine de fermer. Malgré son style vestimentaire enchaîné au passé, il parvient encore à dégager une aura certaine d'expérience, rassurante pour qui le connaît, effrayante pour celui qui n'est pas habitué.

Méthodique. C'est peut-être l'adjectif qui correspond le mieux à Mickey Rivers. Tout a selon lui une raison. Celle de la décadence de Bright Falls, c'est la nature humaine. Mais il a sut s'en accommoder, il gagne sa vie sur le dos des raclures de la race des Hommes. Pour subsister, la Justice a besoin de sa jumelle, la criminalité. Cette même sœur qui lui ôta son épouse et ses trois filles, qui a fait du café-whisky sa drogue préférée. D'un naturel calme et réfléchit, il sait que son travail l'amènera parfois à se dresser contre ses collègues, qu'il sera détesté et que sa vie sera en permanence suspendue à un fil. Mais il l'a accepté lorsqu'il prêtait serment de faire régner l'Ordre à tout prix. Selon lui, trop de flics ont oublié ce serment, c'est pourquoi il maudit quotidiennement la police à laquelle il appartient, qui ne vaux pas mieux que les mafias. Le décès de sa famille, puis de son amante l'ont poussé, au-delà de l'alcool, à employer des moyens qu'il n'aurait jamais effleuré il y a de cela vingt ans. Aujourd'hui pourtant il s'est vu obligé d'en user, même si parfois le Serment y perd son compte. Lui qui ne voulait jamais tuer, il est déjà responsable d'une dizaine de morts, au nom d'une Justice qui se perd un peu plus chaque jour. Le meurtre est une chose qu'il répugne, pourtant il sait que certains ne méritent plus que ça.

A croire que la pluie va de paire avec les jours merdiques. Et on ne pouvait pas faire plus merdique que cette matinée. Le cimetière de Bright Falls était particulièrement vide ce matin. Malgré l'enterrement prévu, il n'y avait que huit personnes pour assister aux funérailles, dont cinq croques-mort et le prêtre. Seulement deux était de la famille : un grand homme mince au regard froid, et une jeune fille en pleurs, frissonnant dans l'air humide de Septembre. Ils étaient là en mémoire de Sarah Rivers, épouse de commissaire, mère de Julia Rivers. Mickey n'avait pleuré que deux fois au cours de sa morne vie : pour la naissance de sa fille, pour le décès de son épouse, tragiquement décédée suite à une blessure par balle.

"Nous sommes ici pour accompagner Sarah dans son voyage, celui qui la mènera vers une vie meilleure, auprès de Dieu le Père."

Connerie. Personne ne nous attend après la mort. Il n'y a rien, absolument rien, pas même une sensation de froid, ni de vide. Ça faisait partie des dernières volontés de la défunte, un enterrement catholique. Résultat, il n'y avait que deux personnes à pleurer son départ. Dire qu'il allait prendre sa retraite, couler des jours heureux dans sa famille. Une blague en plus. Seven Sins City lui avait ôté une de ses trois raisons de vivre. Il ne restait plus que sa fille et son désir de faire son boulot correctement. L'enterrement s'éternisait. La pluie se faisait de plus en plus glacée. Lorsque le curé prononça son "Amen" fatidique, les types en noir s'empressèrent de mettre le cercueil dans son petit trou, et de le reboucher aussi sec. Ils n'avaient pas laissé le temps de déposer la moindre fleur. Ils placèrent finalement le pierre tombale qui avait coûté une fortune, l'épitaphe, et montèrent sans autres cérémonies dans corbillard avant de quitter le cimetière. Le prêtre vint leur serrer la main avant de quitter à son tour la funeste prairie.

"Rentres à la maison Julia. Je serais pas long."

La jeune fille acquiesça en étouffant un éternuement, tout en essuyant de sa manche les larmes qui ne cessaient de couler.

"Ta fille a bien grandit Sarah. Je suis sûr qu'elle comprend encore mieux que moi."

Le commissaire est né au Texas, dans une ferme miteuse, dans une famille miteuse. Mais il aimait sa vie : simple et ordonnée, loin du moindre soucis. Il n'a connut rien d'autre que la pampa jusqu'à ses quinze ans, l'année où il entra au lycée. Dans sa cambrousse à lui, il n'y avait rien d'assez grand pour pouvoir prétendre à ce titre, il partit donc en direction d'Austin, la capitale et aussi mégapole la plus proche. C'était pas si mal en fin de compte, la ville. Il y découvrait le théâtre, les bars, et tout ce qui fait la vie d'un jeune homme moyen. Il passa une scolarité normale, ni brillante ni catastrophique, lorsqu'on lui posa la question qui allait probablement changer son existence : le métier qu'il envisageait. Il avait répondu d'instinct flic. Il avait entendu parler durant son enfance de ces types qui se battaient au nom de l'Ordre. Pas de simples pécores attitrés à la circulation, condamnés à s'étouffer dans un sifflet. Flic, quelqu'un qui défend les intérêts de la Justice.

Il entra donc, tout frais, à l'école de Police de Dallas. Pas la meilleure qui soit, mais bien suffisante. Il y passa près de sept ans. A la différence de ses "camarades", Mickey n'écoutait pas en cours, mais il apprenait sur le tas, en allant voir de ses propres yeux des enquêtes en cours, en lisant des rapports...Être derrière un bureau, ça le gonflait déjà. A sa sortie, on lui annonça qu'au vu de ses résultats, il ne pouvait choisir que deux affectations à l'étranger : un bled perdu au fin fond de la Californie, ou bien la splendide Bright Falls. Il sauta sur l'occasion, et le mois suivant était en ville, dans son premier Poste. Il y rencontra Sarah, fraîchement nommée avocate en ville. Il ne s'agissait que de travail au début, mais ça devint vite une relation amoureuse et sincère. C'était bien.

Tout était pour le mieux, jusqu'à il y a environ vingt ans. Cette année où Bright Falls était devenue Seven Sins City, cette même année où peu à peu le travail de Mickey s'émiettait et où ses collègues sombraient un à un dans la connerie profonde, celle qui veut qu'on s'efface au lieu de luter. Année où les mafias se révélaient au grand jour. Année où Rivers, simple brigadier, perdait confiance en tout ce qu'il savait, tout ce qu'on lui avait apprit. Pour couronner le tout, ses deux parents étaient morts dans leur sommeil. Fuite de gaz. Fort heureusement, c'est aussi cette année où ils se marièrent, et où Julia naquit.

Revigoré par ces heureux événements, Mickey choisit d'enfin se redresser, et de commencer son nouveau travail : Flic, avec un grand F. Ces hommes avides d'Ordre et de Justice. Les années suivantes, il ne cessait de coincer les ripoux et autres criminels. Il en était venu à travailler avec Ian Mattews, un Procureur haut placé à la réputation sans failles. Ensemble ils avaient de nombreuses fois résolus les affaires les plus tordues, même si Mickey admettait qu'il ne saisissait parfois pas les méthodes de Ian, lequel se débrouillait toujours pour que les malentendus leur soient favorables. De coups d'éclats en coups d'éclats, Rivers devint finalement Commissaire. Dans une ville qui ne cessait de chuter, il s'évertuait à la maintenir hors de l'eau. Sans sa famille, sans Matthews, c'aurait été impossible. Mais ils étaient là, autant en profiter. Dès qu'il fut nommé à son nouveau poste, il s'empressa d'être encore plus efficace, toujours en appliquant la Loi, celle qui protège, celle qui surveille.

Mais voilà, rien ne dure jamais. Et il y a trois jours, on était venu chez lui. On avait tout saccagé, et on avait tué son épouse. Un mois avant sa retraite à lui, trois ans après sa retraite à elle. On lui avait annoncé ça tandis qu'il était au bureau. Il avait descendu son café d'une traite et il avait grimacé : il était serré comme un nœud de cravate. Il avait prévenu sa fille. Il avait hésité à prévenir Matthews. Finalement il lui avait laissé un message, il verrait bien.

"Tu seras vengée, ma petite Sarah. Sois en sûre."